MAYVA
Je ne t'ai jamais parlé d'elle. Je ne t'ai jamais parlé de ce quartier.
C'est le quartier qui l'a regardée pousser. Gamine, elle aimait bien ces arbres et ce petit parc derrière, coincé entre le pont et l'autoroute. Là, elle respirait, elle courrait à perdre haleine, elle s’écorchait les genoux et elle grandissait à l’abri des blessures de l'enfance.
De temps en temps, elle escaladait la pente dans le parc et elle regardait les voitures passer accoudée sur la glissière de sécurité. C’était bon de se laisser transporter par le bruit des voitures qui passaient sur le pont, c’était doux de se dire « un jour moi aussi je partirai, je quitterai ce quartier sans vie, désabusé, je laisserai derrière moi le gris du pont, le noir de ses sentiments, et je ne me retournerai jamais... »
Et puis un soir, elle est vraiment partie. C’était trop tôt... Il faisait nuit, la pluie se mélangeait à ses larmes et le vide creusait déjà à l’intérieur d’elle. Elle a franchi le pont, elle pris l’autoroute et elle ne s’est jamais retournée.
Tu vois, ce quartier est devenu son no man’s land. Après les affrontements, il ne reste jamais rien, tout est mort, même les couleurs ont disparu. Elle ne revient jamais par ici.
Non, je ne t’ai jamais parlé d'elle. A quoi bon remuer les souvenirs ? Je ne t'ai jamais parlé de ce quartier non plus...
Pourtant, c'est là que tu étais l’autre soir... Tu attendais qu'elle te rejoigne sur ce pont et je t'assure qu'elle était là, si près de toi... Pour elle, tu as remis de la couleur sur le pont, tu as remis du vert dans les arbres...
Tu lui as montré l’enfance avec de la couleur et ça l'a rendue tellement plus douce...
(Merci à Schuppette pour ses photos... J'espère que les mots seront à la hauteur de ton regard)